Cette sortie est une production
Enregistré par Simon Poligné
Mixé au studio de la Grange Cavale par Manuel Duval
Masterisé par Cyril Meysson
Texte de Guillaume Semery
Une sirène retentit. Est-ce la quille venant délivrer la travailleuse de son âpre besogne ? Ou bien l’appel d’une baleine de fer invitant à appareiller pour les profondeurs ? Fin du
travail, début du rêve : les sillons ne seront pas ici fruits d’un labour mais mouvants reliefs à explorer. Car s’il est bien un guide paradoxal capable d’actionner les leviers d’une telle
libération des esgourdes, en jouant à l’envi des effets de glissement entre le concret et l’abstrait, le proche et le lointain, la répétition et l’accident, ce ne saurait être que Guilhem’All.
Tourne-tabliste instinctif, agile électronicien des aléas, son procédé est simple : penché sur de petites platines où tournent des disques par lui trouvés, composés, triturés ou bandés, il
tisse et entrelace les câblages de chair gainés de vinyle à même de nous mener à la transe hypnagogique. Guilhem n’impose jamais rien : il suggère. Ainsi la description à suivre n’est
elle-même qu’une suggestion.
Le chemin semble s’ouvrir sur une techno-parmesane qui, modulant les hauteurs, place l’auditrice dans la position d’une spéléologue du lointain intérieur. A nous harnais, baudriers, mousquetons
et lanternes : le tourne-tabliste nous fait descendre au cœur de notre vestibule. Glissant sur les parois visqueuses de l’escargot cochléen, nous captons comme les échos d’une teuf sans dieu
qui se donne dans les plis et replis de nos viandes.
Or un souffle venu de nulle part éteint soudain la mèche. L’obscur advient, lieu d’une étrange itération. Dans un silence gazeux et vibratile, nous assistons à l’apparition dansante du Groove,
sous la forme d’une cithare insituable. Sa séduction se subtilise dans une série de vagues métalliques qui courtoisement nous invitent à lâcher du mou, abandonner tout contrôle répressif, afin
d’aller plus profond dans l’expérimentation de nos pouvoirs de rêverie auditive.
Le Groove est partout chez Guilhem’All : non pas comme une injonction, mais comme un Protée aux mille visages. Alors la répétition se mue sans qu’on y prenne garde en un twist industriel où
le plaisir du doigt est seul maître à bord, avant que ne s’étale la grande vague blanche à laquelle nos radicalités trouvent à s’abreuver.
Toujours chez Guilhem, les boucles vinyles sont tressées de sorte que le temps se fluidifie : et les horloges, dont le boum-boum accompagne ailleurs le rythme de la production, ne scandent
plus ici que joyeuse incertitude. Quant à l’espace, il se courbe sans effort : nous flottons dans un emboîtement de couloirs dont les murs sont des matelas qui accueillent nos danses. Car
c’est bien de danse qu’il s’agit : en bon jockey de disques, Guilhem nous anime ni plus ni moins qu’à bouncer en rêve et sans trêve. Et l’auditrice de se trouver éventuellement prise, sous
l’effet de ce dub itératif et changeant, d’une irrépressible envie de hocher la tête en cadence, quoiqu’à la manière de la chouette, ou du hibou.
Ces voix qui mesurent le vivant vide où ça résonne, par le ravissement immersif des triturations du vinyle, nous paraissent les nôtres. Et c’est bien l’un des précieux effet des propositions de
Guilhem : à cheval, comme les cosaques d’un souvenir lointain, entre musique concrète, improvisée, industrielle, ambiante, savante et spontanée, elles nous suggèrent autant de voies
d’exploration que les disques ont de sillons, et nous introduisent à une fraîcheur étrangement familière. Ô combien nécessaire, car elle fait fi des frontières.
A siren sounds. Is it the keel coming to free the worker from her harsh task? Or the call of an iron whale inviting us to set sail for the depths? End of work,
beginning of the dream: the grooves here will not be the fruit of plowing but moving reliefs to be explored. Because if there is indeed a paradoxical guide capable of activating the levers of
such a liberation of esgourdes, by playing at will with the effects of sliding between the concrete and the abstract, the near and the far, the repetition and the accident, it could only be
Guilhem'All. Instinctive turntable player, agile electronics engineer of hazards, his process is simple: leaning over small turntables where discs he found, composed, crushed or bandaged are
spinning, he weaves and interlaces the flesh cables sheathed in vinyl capable of leading us to hypnagogic trance. Guilhem never imposes anything: he suggests. So the description to follow is
itself only a suggestion.
The path seems to open onto a techno-parmesan which, modulating the heights, places the listener in the position of a speleologist from the distant interior.
Harnesses, carabiners and lanterns are ours: the turntable takes us down to the heart of our vestibule. Sliding on the viscous walls of the cochlean snail, we capture the echoes of a godless
party which takes place in the folds and tucks of our meat.
But a breath coming from nowhere suddenly extinguishes the wick. The dark happens, the place of a strange iteration. In a gaseous and vibrating silence, we witness
the dancing appearance of Groove, in the form of an unsituable zither. Its seduction is subtle in a series of metallic waves which courteously invite us to let go, to abandon all repressive
control, in order to go deeper in the experimentation of our auditory reverie powers.
Groove is everywhere at Guilhem’All: not like an injunction, but like a Proteus with a thousand faces. Then the repetition turns without us noticing it, into an
industrial twist where the pleasure of the finger is the only master on board, before the great white wave spreads out from which our radicalities can drink.
Still at Guilhem, the vinyl loops are woven so that time becomes fluid: and the clocks, whose boom-boom elsewhere accompanies the rhythm of the production, here only
chant joyful uncertainty. As for the space, it curves effortlessly: we float in a series of corridors whose walls are mattresses that accommodate our dances. Because it’s really about dance: like
a good disc jockey, Guilhem inspires us to bounce in a dream and without respite. And the listener may find herself seized, under the effect of this iterative and changing dub, with an
irrepressible desire to nod her head in rhythm, albeit in the manner of an owl.
These voices which measure the living void where it resonates, through the immersive rapture of the twisting of the vinyl, seem ours to us. And this is indeed one of
the precious effects of Guilhem's proposals: on horseback, like the cossacks from a distant memory, between concrete, improvised, industrial, ambient, learned and spontaneous music, they suggest
to us so many ways of exploration that the records have of grooves, and introduce us to a strangely familiar freshness. Oh how necessary, because it ignores borders.